En déplacement à Tours dans le cadre de son tour de France, Hervé Morin a enfilé avec naturel les habits de non-candidat centriste de la normalité. Détendu, placide et avenant, le patron du Nouveau centre nous rappellerait presque celui qui, quelques mois plus tôt, portait la casquette d'outsider du Parti socialiste.
Cartable sous le bras, Hervé Morin grimpe avec énergie dans le TGV qui doit l'emmener à Tours ce jeudi 26 mai. Le président du Nouveau centre se fraye un chemin jusqu'à sa place, gratifiant au passage chaque voyageur d'un sourire complice. Il extirpe une pile de journaux de son épais sac en cuir « acheté en Colombie », précise-t-il fièrement. Après avoir jeté un bref coup d'oeil aux pages quinté du Parisien, il entreprend la lecture d'un article consacré à Strauss-Kahn. « C'est d'une vulgarité », souffle-t-il avant de s'exclamer : « C'est Hollande qui sera le candidat du PS, j'en prends le pari, ça fait longtemps que je le dis ! C'est un vrai social-libéral, un mec intelligent. »
« Vous souhaitez boire quelque chose ? », l'interrompt un agent. Hervé Morin acquiesce, demande une bouteille d'eau et sort de sa poche un tas de pièces. « Je connais le prix d'une bouteille d'eau et j'achète moi-même mon pain, déclare-t-il avec satisfaction. C'est dingue ce que les gens s'imaginent sur les politiques ! » Décidément, la normalité est un concept à la mode bien au delà du Parti socialiste.
Morin a beau ne plus être ministre, ni même candidat, le programme de sa journée s'annonce chargé. Enregistrement d'une émission politique sur TV Tours, rencontre avec des viticulteurs « un peu froissés » du passage éclair du député sur leur stand pendant le salon de l'Agriculture, visite d'un laboratoire Sanofi, séance de dédicaces de son livre Arrêtez de mépriser les Français ! à la Fnac de Tours, puis retour à Paris pour un « dîner de travail » avec les co-présidents de la future confédération des centres, l'ex-ministre de la Défense a largement de quoi s'occuper.
« Je suis très déterminé », précise-t-il pour ceux qui en douteraient. Très déterminé mais pas candidat. Malgré son effacement, Jean-Louis Borloo continue de rafler la mise dans les sondages tandis que Morin plafonne à 1%. Pas question dans ces conditions de se lancer dans une course perdue d'avance. « On désignera notre candidat en octobre prochain, on verra à ce moment là… On a décidé de ne pas se faire la guerre », martèle le chef de file du NC. Alors qu'en off, certains de ses collègues du centre n'hésitent pas à critiquer la probable candidature Borloo, Morin se garde bien d'esquinter celui qui apparaît pourtant comme son adversaire au sein de la grande famille centriste. Trop bienveillant pour être normal ?
Candidat ou pas, depuis son éviction du gouvernement en novembre 2010, Hervé Morin court villes et campagnes pour « écouter » les Français. Avec « 70 fédés en ordre de marche », le président du Nouveau centre peut compter sur ses équipes locales pour lui concocter des journées au pas de course. A la gare de Saint-Pierre-Des-Corps, Sophie Auconie, député européen et présidente de la fédération de Tours l'accueille à bras ouverts. « Je suis à fond moriniste », déclare-t-elle en guise de préambule.Tout le monde en voiture, direction les studios de TV Tours. Sur place, une militante NC attend Hervé Morin. Sans hésitation, ce dernier lui claque deux bises en la serrant dans ses bras. « Il a vraiment le sens du contact, souffle un de ses collaborateurs admiratif. Mais Borloo a plus d'expérience… »
Après 52 minutes d'enregistrement, le patron du Nouveau centre doit se rendre à Vouvray pour une table ronde avec des viticulteurs du coin. A peine arrivé, il les assaille de questions. « Je ne suis pas venu pour vous parler, je suis venu pour vous écouter et que vous me racontiez votre vie. » Décontracté, Hervé Morin discute la bouche pleine, note scrupuleusement les remarques des uns et des autres et renifle chaque verre de vin qu'on lui présente. Entre deux tranches de saumon, il évoque son père et sa Normandie natale. De l'autre côté de la table, Sophie Auconie secoue tête, bras, et mains pour lui signifier qu'il est l'heure de partir. Mais Morin s'en moque. Au milieu des vignerons, il semble parfaitement à l'aise. Une fois la page viticole tournée, il profite des minutes restantes pour exposer sa vision d'un centre « dans la majorité ». « Sur les cinq qui étaient là, deux voulaient que je sois candidat », se félicite-t-il quelques instants plus tard, heureux comme un enfant qui ramènerait une bonne note. Morin le non-candidat peut-il devenir Morin l'outsider ? Réponse en octobre.
Laureline Dupont - Marianne