Les députés étudient depuis le 6 juin la possibilité d'intégrer les œuvres d'art dans l'ISF, que la gauche avait exclus de l'assiette. Pour Jack Dion, les arguments attendus, relatifs notamment à la fuite des capitaux, ne tiennent pas debout.
A-t-on le droit de faire payer les riches ? La question peut paraître superfétatoire, ou déplacée. Spontanément, chacun dira que bien sûr, on a le droit, au nom de la juste répartition des efforts et de l’égalité fiscale. Dans la réalité, si l’on en juge par les cris d’orfraie déclenchés par la simple possibilité d’intégrer les œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF (Impôt de Solidarité sur la Fortune), c’est un peu plus compliqué.
On notera au passage que la suggestion n’est pas venue d’un groupe de gauchistes manipulés par des taupes envoyées par Hugo Chavez, mais de quelques députés Ump emmenés par Marc Le Fur, vice-président de l’Assemblée nationale. Ces derniers font remarquer, non sans quelque logique, qu’il n’y aucune raison d’extraire les œuvres d’art du patrimoine des familles, comme l’avait pourtant décidé la gauche, en 1981, lors de la création de cet l’ISF (qui s’appelait alors impôt sur les grandes fortunes). D’ailleurs, c’est ce que demande depuis longtemps la Cour des comptes, qui ne passe pas elle non plus pour un modèle de subversion intellectuelle. Partisan de cette mesure, Jean-Louis Borloo, ancien ministre, envisage même d’aller plus loin en taxant les plus-values sur les œuvres d’art au même titre que les autres.
Pourtant, de partout, montent des voix pour expliquer qu’une éventuelle intégration des œuvres d’art dans le calcul de l’ISF ne rapporterait presque rien, qu’il s’agirait d’un crime contre l’esprit aboutissant inéluctablement à la fuite des capitaux et à la mort du marché de l’art. De toutes façons, nous dit-on, les contrôles seraient impossibles.
On remarquera tout d’abord que si une telle initiative doit rapporter très peu, il n’y a pas de raison de crier au loup. On ajoutera que les contrôles ne paraissent pas plus difficiles en ce domaine que dans d’autres et que l’on ne voit pas pourquoi on ne ferait pas confiance aux contribuables, quand bien même possèderaient-ils des toiles de maîtres ou des bijoux de grande valeur.
Quant à l’argument de la fuite des capitaux, il est systématiquement mis en avant dès qu’il s’agit de mettre les riches à contribution (fiscale), comme s’ils étaient tous des exilés fiscaux en puissance, ou des gens prêts à quitter le pays avec leur fortune à la semelle de leurs souliers. A les décrire ainsi, ne friserait-on pas le racisme privilégiés, ou le délit de sale gueule riche ?
Il suffit que l’on propose d’augmenter les impôts sur les plus fortunés pour que revienne en boucle la petite musique : les capitaux vont fuir la France. A ce compte-là, on se demande pourquoi les entreprises étrangères continuent à venir s’installer dans l’hexagone, nonobstant les pleurnicheries sur un pays suspecté en permanence de demander trop d’efforts aux riches. Si tel était le cas, cela se saurait.
En vérité, le chantage à la fuite des capitaux est une vaste fumisterie doublée d’un affront à l’esprit même de la République. Avec un tel raisonnement, les exilés fiscaux auraient dû pousser comme champignons après la pluie. Or rien de tel n’a été constaté. De plus, le propos est moralement irrecevable. On ne peut rappeler quotidiennement les citoyens au respect des droits et des devoirs, pointer un doigt accusateur sur les « bénéficiaires » du RSA ou sur les familles touchant des allocations familiales, et accepter qu’une infime minorité refuse de payer ce qu’elle devrait payer.
On peut parfaitement critiquer l’ISF et juger son efficacité douteuse. Il est avéré que cet impôt frappe plus les couches moyennes supérieures que le gratin de la fortune, qui a tous les moyens légaux d’y échapper. On peut même, comme Marianne le suggère depuis longtemps, proposer de le supprimer l’ISF et de le remplacer par un impôt frappant toutes les formes de revenus, avec des barèmes de l’impôt revus en conséquence. Cela doit pouvoir se discuter sans tabou ni a priori idéologique. En revanche, il est insupportable de voir les rois de la fortune monter au créneau pour défendre leur château fort à la manière des seigneurs du Moyen Âge.
En vérité, si la fiscalité actuelle est déficiente, ce n’est pas parce qu’elle frappe trop les riches, mais parce qu’elle ne les frappe pas assez. Tout le reste n’est que comptine pour petits enfants.
Jack Dion - Marianne
http://www.marianne2.fr/ISF-faire-payer-les-riches-c-est-un-crime_a207091.html