|
| Accueil |
Créer un blog |
Accès membres |
Tous les blogs |
Meetic 3 jours gratuit |
Meetic Affinity 3 jours gratuit |
Rainbow's Lips |
Badoo |
[ Gaullisme local ] [ Revues des blogs ] [ Evènements ] [ TV, Radios, Journaux ] [ Lecture gaullienne ] [ Gaulliste libre ]
|
|
|
|
Terra Nova, le Temple solaire de la gauche ?
09/06/2011 12:57
Pour Terra Nova, think tank proche du Parti socialiste, la victoire de la gauche en 2012 dépendra de sa capacité à séduire un électorat qui sera susceptible de voter en sa faveur sans pour autant adhérer à ses valeurs. André Grjebine, directeur de recherche à Sciences Po, considère que cette stratégie clientéliste est risquée.
Les politiques d’austérité infligées à un nombre croissant de pays européens créent un climat propice à la montée de mouvements populistes. L’opinion qu’aucune politique ne parviendra à juguler la crise économique et ses conséquences politiques se répand. Dans ce contexte, des voix se font entendre, proposant des stratégies populistes ou clientélistes. A droite, mais également sur bien des points à l’extrême-gauche, c’est la surenchère populiste par rapport au Front national qui tend à prévaloir et conforte ainsi ses positions. A gauche, certains en viennent à prôner une stratégie clientéliste. Il ne s’agit plus de convaincre un maximum d’électeurs de la validité du projet proposé, mais d’esquisser les contours d’une nouvelle coalition électorale susceptible d’apporter ses suffrages à la gauche et d’adapter son discours en conséquence. Les deux stratégies risquent de se révéler contre-productives dans la mesure où elles renforcent le sentiment que seul le Front national est à même d’affronter les problèmes de l’heure.
Le rapport rédigé sous la direction d’Olivier Ferrand et Bruno Jeanbart, récemment rendu public par Terra Nova, think tank proche du PS, « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? », illustre très clairement la stratégie clientéliste. Il a le mérite de proposer un constat inquiétant de l’état de la gauche. Reste à savoir quel serait l’avenir de la gauche si elle devait s’inspirait de la stratégie que les auteurs en déduisent.
Le rapport part de l’observation que la coalition électorale qui supportait historiquement la gauche est en déclin. La population ouvrière, qui en constituait l’ossature, diminue depuis les années 1970. Mais surtout, la montée du chômage, la précarisation, la perte d’une identité collective susciteraient dans les classes populaires des « réactions de repli sur soi : contre les immigrés, contre les assistés, contre la perte de valeurs morales et les désordres de la société contemporaine. » (p.8) Ce qui expliquerait que les ouvriers, mais également les employés, soient moins enclins à voter pour la gauche et davantage séduits par le Front national. Dès lors, « la volonté pour la gauche de mettre en œuvre une stratégie de classe autour de la classe ouvrière, et plus globalement des classes populaires, nécessiterait de renoncer à ses valeurs culturelles, c’est-à-dire de rompre avec la social-démocratie. » (p.13). D’où la proposition d’asseoir la stratégie électorale sur une nouvelle coalition : « la France de demain », formée par les jeunes, les minorités, les femmes, les diplômés solidaires des exclus par conviction. Selon Terra Nova, cette France en construction a toutes les qualités : « elle veut le changement, elle est tolérante, ouverte, solidaire, optimiste, offensive. » (p.54) ! Ce qui tranche agréablement avec les ouvriers, décrits par le rapport, qui, désormais, « se positionnent en priorité en fonction de leurs valeurs culturelles – et ces valeurs sont profondément ancrées à droite » (p.26).
Légitimement enthousiasmé par des perspectives aussi prometteuses, le lecteur imagine déjà le rassemblement qui pourrait en sortir. Le problème, c’est que l’« électorat disponible », c’est-à-dire l’électorat qui pourrait potentiellement voter pour la gauche mais n’est pas sûr de le faire, est à la fois composite et fortement enclin à l’abstention. Toute la question est donc de le séduire et de le fidéliser. Les auteurs affirment opter pour une stratégie centrée sur les valeurs. Mais, un électorat composite appelle la mise en avant de valeurs composites, sinon contradictoires. D’où l’énumération de valeurs dans lesquelles chacun choisira celles qui lui conviennent : « la tolérance, l’ouverture aux différences, une attitude favorable aux immigrés, à l’islam, à l’homosexualité, la solidarité avec les plus démunis » (p.7). La référence à l’islam paraît à cet égard particulièrement problématique. Compte tenu de la laïcité traditionnellement revendiquée par la gauche, n’est-il pas étrange de considérer une attitude favorable à une religion comme une incarnation des valeurs de gauche ? Les auteurs notent eux-mêmes que « la religion reste, aujourd’hui comme par le passé, un marqueur invariant de positionnement politique » à droite (p.41). Le fait même de classer parmi les valeurs de la gauche « une attitude favorable à l’islam », sans demander à ceux qui s’en réclament la même tolérance à l’égard par exemple des incroyants, des homosexuels ou de ceux qui se sont détachés de l’islam ou entendent le faire suggère que les valeurs mentionnées par Terra Nova sont loin d’être partagées dans leur ensemble par ceux qui sont censés constituer l’électorat de la gauche. Plus précisément, l’ouverture à l’égard de l’islam mesure la tolérance des fidèles d’autres religions ou des incroyants, sans qu’on attende apparemment des musulmans qu’ils fassent preuve d’un quelconque attachement aux valeurs déclarées comme étant de gauche.
En réalité, pour les auteurs, ce qui définit, semble-t-il, l’appartenance à la gauche, c’est moins l’adhésion à ses valeurs que la probabilité d’un vote en sa faveur indépendamment des valeurs. Qu’importe les préférences des musulmans. Ils votent en grande majorité pour la gauche et cela suffit. Comme l’observe Claude Dargent, leur vote de gauche « n’est pas la conséquence d’un libéralisme sur les questions de mœurs et de société puisqu’ils témoignent au contraire de positions très rigides sur ce sujet.* » Ce n’est donc pas au niveau des valeurs que la rencontre entre les personnes de culture musulmane et la gauche peut se faire principalement. Les uns attendent que la gauche mette en pratique son souci d’ouverture pour réserver un accueil plus favorable aux immigrés et à leurs descendants, quels que soient par ailleurs leurs options et éventuellement leurs comportements. La gauche escompte « en échange », sans que le terme soit jamais prononcé, un vote en sa faveur. A la limite, on peut même envisager que cet échange de bons procédés se perpétue, la gauche se montrant d’autant plus favorable à la poursuite de l’immigration qu’elle verra en elle la promesse de nouveaux électeurs. Dans cette stratégie, l’afflux permanent de nouveaux immigrants originaires de pays musulmans paraît d’autant plus nécessaire qu’on peut espérer qu’au fur et à mesure de leur distanciation avec l’acte d’immigration, les orientations des descendants d’immigrés tendront à se normaliser et à se répartir dans l’ensemble de l’échiquier politique français.
Cette stratégie paraît à la fois problématique et à courte vue. Elle risque de se révéler doublement suicidaire. Tout d’abord, elle pousse les ouvriers et les employés dans les bras du Front national. Ceux-ci représentent près de la moitié de la population, et bien davantage si l’on tient compte des retraités plus nombreux dans ces catégories sociales. Les partis traditionnels, de droite ou de gauche, se sont avérés incapables de faire face à la montée des insécurités sociale, immobilière, culturelle que les couches populaires – c’est-à-dire principalement les ouvriers et les employés - ressentent. Or, non seulement la gauche prend de moins en moins en charge leurs revendications, mais, en outre, elle stigmatise leurs « réactions de repli » comme le fait le rapport analysé. Quoi d'étonnant si Marine Le Pen ne cesse de gagner des voix dans cet électorat, en prenant la défense de ces catégories sociales, même si les remèdes qu'elle propose sont en général populistes et inapplicables ? Selon un sondage Ifop-France-Soir du 17/2/2011, 37 % des ouvriers et 32 % des employés avaient l’intention de voter pour Marine Le Pen en cas de candidature de Martine Aubry, qui n’obtiendrait respectivement que 17 % et 20 % de leurs voix.
(André Grjebine)
En même temps, cette stratégie incite des électeurs qui ne partagent pas toujours les valeurs de la gauche à voter pour elle. Elle accepte ainsi d’être l’instrument permettant à des revendications communautaristes, contraires aux valeurs qu’elle affiche, de progresser dans la société française, pourvu que ces revendications soient exprimées par ses électeurs potentiels. Encore faut-il éviter que certains au sein de cet électorat potentiel n’en viennent à s’interroger sur l’adéquation de leur vote avec les valeurs opposées aux leurs, traditionnellement promues par la gauche. La note, quelque peu provocante, publiée en mars dernier par Terra Nova, plaidant en faveur de « l’émergence d’une puissante citoyenneté musulmane », s’inscrivait, sans doute, dans cette logique. Qu’arrivera-t-il lorsque les différentes composantes de son électorat prendront conscience de l’incompatibilité des valeurs qu’elles défendent ? La gauche risque alors de connaître une hémorragie comparable à celle qui l’a privée de son électorat populaire, mais touchant cette fois les classes moyennes.
André Grjebine - Tribune
(*) C.Dargent, « Musulmans versus catholiques : un nouveau clivage culturel et politique ? », Congrès de l’AFSP, Grenoble, septembre 2009.
André Grjebine est directeur de recherche à Sciences Po, Centre d’études et de recherches internationales.
| |
|
|
|
|